Le cauchemar du chat noir
Un chat noir, un certain soir,
Se mira dans un miroir,
Un miroir qui point ne ment.
Quel fut son étonnement !
Il n’avait plus de regard,
Deux yeux vitreux, deux trous noirs
Et, détail assez troublant,
Sur la gueule un carré blanc !
Aucune moustache à voir,
Nul museau à percevoir,
La langue pâteuse aux dents,
Plus de voix, de cris dedans,
Un grand néant obsédant.
Abandonnant son panier,
Cherchant en vain un terrier
Dans les lieux où il se rue,
Chat ne voit que rue sur rue.
Des rues droites par milliers,
Qu’il croit se multiplier,
Des rats aveugles et nus,
Dévorant des inconnus.
Partout des chiens policiers,
Enragés, fous à lier,
Souhaitant la bienvenue
En couvrant les avenues
De jappements biscornus.
Des pigeons sur les trottoirs
Moribonds et dérisoires ;
Des souris, des rats errants
Statufiés, rangs après rangs.
La ville, un vaste mouroir,
engloutit fuyards et couards.
La panique, par moment,
Couvre Chat de tremblements.
Au bout d’une route, un square
Laisse aux désespérés croire
Qu’on y trouve paix, pourtant
Ils souffrent la fin des temps,
Notre Chat noir tout autant.
– Chut ! Achez cauchemardé ! »
Tranche Chat bien décidé,
Chat noir, complètement noir,
Noyé dans son cauchemar,
Chat mal foutu, très fourbu.
– Ch’est malin d’avoir trop bu !
Demain, ch’arrête de boire ! »
Par nos peurs, nos désespoirs,
Nos lâchetés, nos déboires,
Nous sommes bien bonnes poires
D’avatars du Père Ubu
ou du Père Lustucru.
Chat – à jeun -, l’eusses-tu cru ?
Armel Louis
(dessin de Benjamin Rabier)